CRÈMES À BRASER
Contexte
Presque tous les équipements électroniques se composent de circuits imprimés (PCB), qui sont nécessaires à leur fonctionnement. Les PCB ont des pistes de cuivre conductrices sur lesquelles les composants électroniques sont soudés. Les soudures/brasures entre ces pistes et les composants eux-mêmes sont généralement réalisées par l’emploi d’une crème à braser.
Les crèmes à braser sont fabriquées en mélangeant un métal sous forme de poudre d’alliage (environ 90% en poids) et une partie chimique composée d’éléments organiques (environ 10% en poids). La partie chimique est plus communément appelée « flux » et est généralement couverte par un secret de fabrication ou par des brevets. Le but du flux est de donner à la crème à braser sa consistance et de permettre le bon soudage des pièces en éliminant les oxydes qui se trouvent à l’interface de celles-ci. Pour utiliser une crème à braser dans les meilleures conditions, il est important de comprendre les notions décrites ci-après.
Pour réaliser une bonne soudure, les surfaces métalliques à braser doivent être « nettoyées » car elles subissent une oxydation lors de l’exposition à l’environnement et peuvent former des composés avec l’oxygène, l’azote, l’eau et les polluants, tels que le soufre, dans l’air. Le degré d’oxydation et la nature des espèces chimiques oxydantes déterminent l’affinité entre les atomes métalliques et ces espèces chimiques.
Par exemple, les surfaces de cuivre forment 2 types d’oxydes. Les oxydes de cuivre interagissent avec le dioxyde de carbone et l’humidité dans l’air pour former des carbonates. Le fer se comporte comme le cuivre, tandis que le nickel produit un film mince continu d’oxyde. L’argent réagit avec les traces d’hydrogène pour former du sulfure d’argent. Une fois qu’une couche de ces types de composés se forme à la surface du métal, cela conduit à une passivation de la surface métallique ce qui entraîne un mouillage médiocre et en conséquence un mauvais soudage.
De plus, les alliages de soudure subissent également une oxydation de surface, formant des composés sur la surface avec l’oxygène, l’eau et l’azote qui interfèrent aussi avec la soudure. Ainsi, une bonne soudure nécessite le « nettoyage » des surfaces à braser au moyen d’une chimie particulière. C’est le flux qui va jouer ce rôle et qui va être en mesure de contrer les effets de passivation par exemple.
Dans le cas de la soudure électronique, le flux devra avoir les propriétés suivantes :
- Retirer les couches de passivation et rendre les surfaces métalliques mouillables par l’alliage de soudure
- Protéger les surfaces nettoyées avec une couche de composé chimique, habituellement de la colophane, qui fera barrière avec l’air avant l’application de la soudure fondue
- Favoriser le mouillage des surfaces à braser en contrôlant les tensions de surface qui favorisent ce processus de mouillage
- Fournir la bonne rhéologie à la crème à braser pour assurer une bonne sérigraphie de cette crème et permettre l’adhérence des composants entre autre. Bien que la première fonction soit la principale, on ne peut obtenir de bons résultats chez le fabricant de PCB que si le flux permet également d’exécuter les autres fonctions de manière satisfaisante
Une crème à braser doit en effet avoir des propriétés qui lui permettent de couvrir les exigences décrites ci-dessus et d’être adaptée au processus de fabrication des cartes avec les composants montés en surface. Les caractéristiques à prendre en compte sont :
- l’activation chimique
- la température ou fenêtre d’activation
- la stabilité thermique
- la tension superficielle
- le pouvoir mouillant
- la rhéologie
- la capabilité vis-à-vis de la sérigraphie
- la toxicité
- la nature
- la quantité des résidus
La colophane est le matériau de base pour les crèmes à braser. C’est une résine naturelle qui est connue depuis de nombreuses années et qui provient du pin (Pinus Palustris notamment). C’est un produit solide à température ambiante qui est parfois vitreux, parfois grumeleux, avec des couleurs variant du jaune très clair au brun. Les colophanes sont un mélange de composés organiques, dont la plupart des dérivés de terpènes et des hydrocarbures. Bien que la composition exacte dépende de la source, le composé le plus important est l’acide abiatique ou acide sylvique (C20H30O2). Dans ces résines, on trouve également présent des acides pimariques. La colophane n’est pas soluble dans l’eau, mais elle est soluble dans des solvants organiques tels que les alcools, les hydrocarbures, les éthers, … Une résine colophanique de bonne qualité est constituée des éléments suivants :
- Acide abiétique 85%
- Acide pimarique 12%
- Autres 3%
La colophane est largement utilisée dans les flux car elle présente de nombreux avantages :
- Elle attaque la couche de passivation de plusieurs métaux, en particulier celui du cuivre
- Elle n’attaque pas le cuivre nu, même après un contact prolongé
- Elle peut être dissoute dans des solvants appropriés et être appliquée sur la surface à souder. Après évaporation du solvant (fonction du four de refusion), elle forme une mince couche qui protège le métal fondu et favorise ainsi le mouillage
- Elle constitue un bon véhicule pour les composés « fondants », tels que certaines amines
- Les crèmes à braser à base de colophane ont une bonne adhérence sur les circuits imprimés et leur rhéologie permet une bonne sérigraphie tout en limitant les phénomènes d’effondrement de la crème (Slump en anglais) et de durée de vie sur écran (Stencil Life en anglais)
Les flux à base de colophane peuvent être divisés en deux catégories principales : les flux activés et non activés.
Les flux activés peuvent ensuite être divisés en 2 sous-classes : la colophane moyennement activée (RMA = Rosin Middly Activated) et la colophane fortement activée (RA = Rosin Activated).
Les flux non activés sont utilisés par des fabricants d’équipement d’aviation par exemple car les résidus peuvent être laissés en toute sécurité sur les circuits soudés sans aucun risque d’attaque corrosive. Les flux activés sont semblables aux flux non activés, à l’exception qu’ils contiennent un agent d’activation supplémentaire (Activateur) qui est beaucoup plus réactif avec la couche de passivation des métaux que la colophane. Le degré d’activation du flux dépend de la nature et de la quantité des activateurs. Classiquement, les types d’activateurs utilisés comprennent les composés à base de brome et les acides carboxyliques.
Une crème à braser est donc un mélange contenant :
- Un alliage de soudage sous forme de poudre
- Des résines (par exemple des colophanes)
- Des activateurs
- Du solvant
- Des épaississants et des adjuvants « rhéologiques »
- Des antioxydants
Lors de la première étape de refusion, le solvant s’évapore et les activateurs « attaquent » les surfaces métalliques, ce qui entraîne un nettoyage de ces dernières. Ensuite lors de la seconde étape, les particules de poudre d’alliage de soudure fondent et forment une masse liquide, qui va constituer le joint de brasure.
La poudre d’alliage (qui se présente sous forme de billes d’alliage), pour permettre l’obtention d’une crème à braser performante doit répondre aux critères suivants :
- Composition chimique homogène
- Niveau d’impuretés maîtrisé
- Taille et forme des billes d’alliage conforme
- Distribution contrôlée des tailles de billes d’alliage
- Chimie de surface (billes exemptes d’oxydes) correcte
Ces propriétés ont des effets importants sur la performance de la crème à braser. Par exemple, lorsque les utilisateurs veulent travailler avec des circuits imprimés comprenant des pas fins, des poudres d’alliage avec des tailles de billes plus fines sont obligatoires pour assurer une bonne sérigraphie (type 4 ou 5 nécessaires). Des tailles inférieures peuvent être atteintes avec des conséquences directes sur le prix de la crème à braser (type 6 voir type 7). Le type 8 est utilisé dans des applications très confidentielles et sur des produits à très forte valeur ajoutée.
En résumé, la taille des billes, leur forme et la distribution de celles-ci ont des conséquences importantes sur la rhéologie de la crème à braser et de ce fait peuvent influencer la mise en œuvre par sérigraphie et par dispensing de la crème.
Formulation générale des flux de crème à braser :
Généralement, une partie chimique de crème à braser contient les éléments suivants :
- Des solvants
- Des colophanes
- Des activateurs
- Des agents « rhéologiques »
- Des anti-oxydants
Des solvants
- La facilité d’application de la crème à braser que ce soit en dispensing ou en sérigraphie
- Le « séchage » de la crème lors de la refusion et la formation d’un film protecteur sur les circuits
- La prévention de la formation de micro-billes et le maintien de la mouillabilité lors de la dépose du métal d’apport fondu sur le substrat à souder
Si le solvant sèche trop rapidement, le film protecteur de colophane durcit et ce dernier ne suit pas l’application du métal fondu d’où un risque de microfissures dans le film composé par les résidus.
S’il sèche trop lentement, le film protecteur contient encore du solvant qui va s’évaporer brusquement en contact avec la soudure fondue et provoquer le phénomène de micro-billes (« pulvérisation » de l’alliage fondu).
La maîtrise du processus d’évaporation du solvant est un phénomène complexe qui est dépendant de la nature du solvant (structure chimique, liaison hydrogène), des caractéristiques de Lewis (acide / base), du nombre de solvants dans le mélange, des interactions chimiques avec les autres composants du mélange, de la pression de vapeur, du rapport surface / volume, etc, …
D’autres complications sont également induites par la présence d’humidité.
Le solvant affecte également le pouvoir collant et les propriétés viscoélastiques de la crème à braser.
Le facteur le plus important à considérer est l’indice acide / base de Lewis qui va définir les interactions entre le solvant et les autres composants de la crème à braser.
Les solvants appartiennent souvent aux familles suivantes : butylcarbitol, dibutyle carbitol, les glycols et les polyhydroxy aliphatiques alcools et les alcools avec groupement aryl.
Des colophanes
Classiquement, les flux contiennent de la colophane « gomme », de la colophane provenant du bois de pin ou de la colophane modifiée qui ont souvent un indice d’acide minimal de 100-150, dissoute dans un solvant. Les indices d’acide sont généralement déterminées en utilisant un titrage KOH simple. Des dérivés de colophanes sont également utilisés, tels que les résines dimérisées, les résines saponifiées ou les dérivés de colophane base ester (également connue sous le nom de « gomme ester »).
Les résines les mieux appropriées auront les caractéristiques suivantes :
- Point de ramollissement plutôt élevé
- Nature non-cristalline
- Résistance à l’oxydation
- Excellentes propriétés de libération du solvant
- Couleur claire
- Stabilité thermique
- Faible odeur
Des activateurs
Les acides carboxyliques (avec groupement alkyl et aryl) sont largement utilisés en tant qu’activateurs dans les flux sans nettoyage et dans les flux base eau pour des applications de soudure à la vague et de brasage CMS.
Des exemples d’activateurs sont l’acide adipique, succinique et glutarique. L’acide malique est aussi utilisé. De nombreux autres activateurs sont mentionnés dans la littérature et des dérivés sont développés en lien avec les avancées de la Chimie.
Lorsqu’une activation plus importante est recherchée (pour obtenir des flux type RA ou RMA), on retrouve entre autres les éléments suivants :
- Produits organiques halogénés
- Halogénures d’ammonium
- Halopyridines
Des agents « rhéologiques »
La performance rhéologique d’une crème à braser (c’est-à-dire son comportement lorsqu’elle est soumise à un stress) est sans doute le critère le plus important lors de sa mise en œuvre. La rhéologie affecte la durée de conservation (où la stabilité rhéologique doit être de plusieurs mois), les performances en sérigraphie, les résultats du test d’affaissement (à froid et à chaud = slump test en anglais).
Les propriétés de sérigraphie d’une crème à braser résultent d’un processus complexe avec de nombreux paramètres qui peuvent influencer les résultats finaux. De manière simpliste, une crème à braser présente des comportements non-newtoniens et thixotropes lorsqu’elle est soumise à des contraintes de cisaillement. La viscosité d’un matériau peut être définie comme le rapport de la contrainte de cisaillement sur le gradient de vitesse. Pour des matériaux constitués de molécules organiques complexes avec des groupes fonctionnels qui sont capables d’interagir entre eux, il est très difficile de prédire l’ensemble des phénomènes.
Une crème à braser est soumise à un large éventail de taux de cisaillement au cours des phases du processus de sérigraphie. Ces phases sont les suivantes :
Le mélange de la crème à braser, crème qui « roule » sur l’écran de sérigraphie et impression des pistes (sérigraphie en elle-même). La phase de mélange se réfère au procédé de transfert de la crème de son récipient à la surface de l’écran. Ce processus implique des taux de cisaillement relativement faibles.
Pendant le processus de sérigraphie, la crème, devant la racle tend à former un cylindre et « roule » quand il est déplacé d’avant en arrière par la racle. Du fait du déplacement de la racle, le taux de cisaillement de la crème diminue et cela est nécessaire pour la formation d’un « rouleau » satisfaisant.
Enfin, la crème à braser est soumise à un cisaillement très important lorsqu’elle est forcée à passer au travers des ouvertures du « pochoir » (l’écran) pour aller se déposer sur le circuit imprimé. À ce moment, lors du passage dans les ouvertures, la viscosité atteint un minimum et le taux de cisaillement est quant à lui maximum.
Une fois que la racle est passée sur les ouvertures de l’écran, le « pochoir » et le PCB sont séparés mécaniquement. Le taux de cisaillement diminue instantanément et la structure de la crème doit pallier à ce phénomène pour éviter l’affaissement des pistes couvertes.
Cela est particulièrement important avec la technologie qui s’oriente vers des pas de plus en plus fins sur les PCB. Ainsi le moindre affaissement va entraîner un « lien » entre les pistes. La capacité de la crème à résister à l’affaissement est également importante pour la refusion où, à chaud, des ponts peuvent se produire.
L’ensemble des études menées ont démontré que les propriétés de la crème à braser ne peuvent être obtenues que grâce à l’utilisation d’agents « rhéologiques » (agents thixotropes et épaississants). Les composés utilisés sont de manière non exhaustive de l’huile de ricin, des dérivés de cellulose, des dérives de l’amidon, des amines spécifiques, …
Des anti-oxydants
Les anti-oxydants tels que les benzotriazoles sont des inhibiteurs de corrosion efficaces pour divers métaux y compris le cuivre et ses alliages.
En brasage tendre, la fonction du flux est d’enlever les couches de passivation puis de former une couverture protectrice (fonction de la colophane après la refusion dans la soudure des CMS) pour empêcher l’oxydation pendant le processus d’assemblage.
La capacité à protéger les surfaces métalliques juste avant et pendant la refusion est une donnée importante, car cela permet également un meilleur mouillage. De ce fait, des quantités optimisées d’activateurs sont nécessaires et cela renforce le caractère « sans nettoyage » de la crème à braser.
Dans l’industrie électronique, le benzotriazole et ses dérivés sont très utilisés pour la protection des surfaces en cuivre contre l’oxydation. De fait, naturellement les anti-oxydants ont été incorporés dans les formules de partie chimique des crèmes à braser.
LA FABRICATION DE LA CRÈME À BRASER
Bien que l’idée de mélanger une poudre de métal avec une partie chimique paraisse simple, un grand nombre de paramètres sont à prendre en compte. Les étapes de fabrication de la crème à braser sont :
- Formulation et fabrication de la partie chimique
- Production des billes d’alliage, tri de ces dernières pour obtenir les types / classes voulues et stockage de la poudre d’alliage
- Mélange de la partie chimique et de la poudre d’alliage pour obtenir la crème à braser et conditionnement de cette dernière
Les paramètres impliqués dans chacune de ces étapes peuvent avoir un effet direct sur la qualité finale de la crème à braser. Par exemple, il a été démontré que l’épaisseur du film d’oxyde sur les billes d’alliage, qui dépend des conditions de production de ces dernières (pendant l’atomisation), interagit fortement avec le process de mélange. La séquence et l’atmosphère sous laquelle se déroule le mélange seront alors à adapter. Les conséquences peuvent être un effet de « croûte » sur la crème à braser et une diminution de la durée de conservation.
Un des points importants est de limiter l’introduction d’air dans la crème à braser lors du mélange de la partie chimique avec la poudre d’alliage car cela peut accentuer le phénomène de micro-billes. Ce mécanisme s’explique, lors du stockage à température ambiante, par la réaction des activateurs avec les oxydes de surface ce qui produit des sels métalliques (typiquement un halogénure ou un carboxylate). Ces sels réagissent à leur tour avec le dioxyde de carbone et l’eau piégée dans le mélange pour produire des carbonates. Cela finit par créer des dépôts de carbonates qui sont sous forme de précipités. Ces derniers forment dans le plus défavorable des cas, une « croûte » sur la surface de la crème à braser dans le pot. Cette « croûte » peut entraîner le phénomène de micro-billes lors de la refusion. De plus, cela entraîne une augmentation de la viscosité de la crème, viscosité élevée qui empêchera le dispensing ou la sérigraphie.
Un autre point à considérer est le type de résidu formé après la refusion et son aptitude au nettoyage. En effet, le volume de flux dans une crème à braser est important (jusqu’à 45%) et la tendance à aller sur les PCB avec des pas de plus en plus fins rend les opérations de nettoyage très compliquées. Une solution possible est d’utiliser un système d’activation avec deux composants, un qui est spécifique à la poudre métallique et un autre qui sert à fluxer les pistes du PCB. Un tel système d’activation peut être optimisé en termes de quantité et donc être présent dans la partie chimique en quantité inférieure à un système « mono-activateur ». Cela conduit ainsi à des résidus plus faibles et peut limiter voir annuler le besoin de nettoyage.
En conclusion, la formulation d’une crème à braser est très complexe car elle fait intervenir de nombreux paramètres qui ont des intéractions entre eux. De plus, les évolutions des technologies de dépose de crème sont de plus en plus « stressantes » avec celle-ci et implique des caractéristiques rhéologiques de très haut niveau pour conserver des performances correctes notamment en sérigraphie.